La particularité de la peinture est située dans l’espace qui se trouve entre l’intention et l’incarnation, entre ce que l'on imagine peindre et ce qui est produit finalement sur la toile. C’est au sein de cette métamorphose que se trouve la spécificité de l’image peinte. La peinture est un instrument optique de présence : elle donne à contempler le temps qui passe sur un temps suspendu. Certaines toiles peuvent demander plusieurs mois, voire plusieurs années, pour être achevées et tous les changements de direction, toutes les hésitations, les repentirs parfois, chaque touche de pinceau, chaque trait ou aplat de couleur, tous ces éléments contiennent en eux le temps qui s’est écoulé. L’œuvre peinte en porte les stigmates, la pulsation, la vibration intime ; ce qui chante dans la peinture.
Cet espace permet un dialogue constant entre ce que je suis et ce que je peins. En défrichant le chemin que j’ouvre en peignant je porte mon regard dans cette direction où l’ombre semble naître, vers ce feuillage qui a bougé, ce nuage qui prend une teinte d’or. Je peux devenir le propre explorateur de ma création, en même temps que le scientifique et le peintre qui composent l’expédition pour en inventer le paysage et le récit. Je peux disséquer mon rapport au monde par les prismes de l’histoire, de la géographie, de l’anthropologie ou de la cosmologie. Je peux sonder ce que le monde me donne à voir et prendre conscience que c’est toujours de lumière qu’il s’agit.
Notre relation au monde est intrinsèquement lumineuse, elle est affaire d’ondes.
Il faut capter la lumière dans la couleur, dans l’alchimie des rapports, jouer avec les dissonances et les harmonies et se plonger dans la profondeur des glacis. Capter cette lumière, c'est faire de la fragilité le paysage lumineux d’un univers.
Ainsi je cherche une forme, une figuration poétique de la relation homme/nature. En saisir les tensions charnelles et lumineuses, celles qui se jouent dans notre rapport aux éléments : dans l’enveloppement de l’eau, contre la dureté du minéral, sous la sensualité du végétal. Donner à la peau sa fonction de feuillage qui capte le photon et offrir à la roche et à la racine le sentiment qui pourrait les transfigurer.
Préciser la ponctualité fugace de l’étoile et le scintillement éternel de l’être.